vendredi 3 juillet 2009

Eusocialité

Une société de fourmis : non, des sociétés de fourmis !
L’eusocialité, une caractéristique des fourmis.

Dès le printemps, elles apparaissent auprès des pucerons, se promenant sur les dalles, montant aux arbres, grouillant sous les pierres.

Ces infatigables insectes retiennent notre attention et se distinguent des autres animaux par leur mode de vie en société. Aucune des 12 000 espèces recensées de la famille des Formicidae ne compte des représentants solitaires. Environ 200 espèces sont présentes en France. Ce sont obligatoirement des insectes sociaux.
Cette vie sociale se caractérise par une division des tâches, un chevauchement des générations et une coopération.
C’est le stade ultime de la vie en société, on parle d’eusocialité. Toutes les sociétés de fourmis n’ont pas la même structure mais on peut en dégager les points communs.
Une fourmi est un hyménoptère. Sa morphologie est caractérisée par une taille fine, un étranglement entre le thorax et l’abdomen comme les abeilles, bourdons, guêpes.


A leur différence le dernier élément du thorax s’est transformé en un pétiole qui peut être simple ou double.

Ce sont des aculéates par leur dard. Il est devenu un vestige.

A quelques exceptions elles ne piquent plus pour empoisonner leurs proies.
Elles communiquent par contact des antennes et par les phéromones secrétées par de multiples glandes qui fournissent des informations sur les dangers, les sources d’alimentation, la reconnaissance, le recrutement … 



la fourmilière
Une fourmilière est composée de trois castes :
- les ouvrières dont le rôle est de ramener de la nourriture, nettoyer et alimenter les pontes, construire et entretenir le nid, le défendre. Elles sont stériles et aptères. Certaines espèces ont plusieurs castes. Cela peut être des ouvrières qui défendent le nid (des soldats) , les majors à fortes mandibules pour casser les graines, des plus petites qui cherchent la nourriture ou élèvent les larves ( couvain). Dans un même nid sans qu’il y ait des castes un polymorphisme des ouvrières peut apparaître : ouvrières de première génération, moindre alimentation ; la taille en sera affecté.

- Les femelles fécondées : elles pondent. Leur tâche est de produire des ouvrières en assurant leur renouvellement. Il faudra pour assurer la continuité de l’espèce produire des sexués : femelles et des mâles. Ce sont les plus grandes par la taille et le gastre énorme. Elles cassent leurs ailes après le ou les accouplements du vol nuptial.

Une espèce peut avoir une reine unique. Il existe des espèces dont les fourmilières abritent plusieurs, voire des dizaines ou des centaines de reines. Dans le cas d’une reine on parle de monogynie, de plusieurs ce sera de la polygynie. Pour la faune des fourmis de Méditerranée, la moitié est monogyne.
Une reine fécondée possède un stock suffisant de sperme pour assurer la pérennité de l’espèce en pondant des œufs sa vie durant.
- les mâles : une seule activité pour une vie très courte: s’accoupler pour mourir rapidement ensuite faute de pouvoir s’alimenter tout seuls. Ils ont de gros yeux, une petite tête et gardent leurs ailes.

Chaque colonie s’identifie par une odeur coloniale. La cuticule des fourmis est imprégnée de lipides qui leur confèrent une odeur particulière, une sorte de passeport chimique. La reine diffuse cette identité en permanence par des contacts antennaires de reconnaissance. Deux mêmes espèces auront une odeur différente. En règle générale il n’y a pas de conflits entre fourmis étrangères. La stratégie est à l’évitement. Toutefois la bataille pour la nourriture est une lutte territoriale permanente. Tout individu étranger sera chassé si la colonie est agressée, voire éliminé. L’odeur est aussi un élément qui évite l’hybridation.


L’essaimage
C’est la période ou les sexués vont participer à un vol nuptial pour un accouplement qui permettra à la femelle fécondée d’assurer une descendance avec un stock de gamètes suffisant pour ne plus avoir à s’accoupler durant sa vie qui peut durer 20 ans. La forte prédation permettra aux lézards, chauve-souris, hirondelles, libellules … de trouver aisément leurs repas. Il est courant d’observer des « fourmis volantes », Lasius niger ou fourmi des jardins sortant des maisons, collées aux fenêtres, débouchant d’une prise d’eau, avant de décoller. Des centaines de fourmis noires révélant la présence de ces insectes présents jusque dans les demeures.
 






 

 

La fondation
Une fois accouplée la femelle, la reine, va casser ses ailes et trouver une cachette pour y fonder sa colonie.

La vie souterraine de ces insectes ne justifie plus de garder ces ailes. Les muscles ailaires seront une réserve nutritive par autolyse ou dissolution chimique dans le sang. Elle va pondre un chapelet d’œufs. Elle ne prendra son premier repas qu’à l’arrivée de la première ouvrière, un à plusieurs mois après. L’urgence est à favoriser le développement de sa progéniture à l’abri des intempéries et des prédateurs. La fondation peut se faire dans les dunes du littoral, le bois mort couché des pinèdes, sous une pierre dans la garrigue, un petit trou en plein chemin, en bordure de parking, sous une écorce ...

L’alimentation
Tous les genres de fourmis ne possèdent pas le même régime alimentaire. L’essentiel repose sur des substances sucrées que produisent les végétaux et quelques homoptères comme les pucerons. D’autres fourmis sont granivores, dites moissonneuses ou Messor . L’apport de protéines par la capture d’insectes ou de leurs cadavres complète le régime. L’activité de recherche de nourriture est un fourragement.


o Les substances sucrées
Toute substance sucrée attire une fourmi. Le sucre sur la table, la tartine de confiture, les fruits mûrs ; comme les abeilles, les fourmis sont en recherche permanente.
 le nectar :

Sur les fleurs : Les plus anciennes ouvrières recherchent cette substance riche en acides aminés. Leur disparition par prédation n’aura que peu d’impact sur la colonie parce que les jeunes qui élèvent les pontes prendront le relais. Le travail est solitaire. Les ouvrières ont un jabot social dans l’abdomen. Elles remplissent cet estomac du liquide nourrissant. Le jabot des genres Lasius et Formica va dilater leur abdomen (gastre). Elles retournent au nid pour restituer par régurgitation – trophallaxie- le contenu aux ouvrières occupées à d’autres tâches.



Sur des nectaires extra floraux :
Des arbres fruitiers, le cerisier notamment, développent des excroissances sur les jeunes branches. Ce sont des "soupapes" éliminant des éléments de la sève qui porteraient préjudice au développement des feuilles. C’est alors une aubaine pour les fourmis d’en tirer profit. Les figuiers de Barbarie, quelques fruits ou fleurs comme la bignone, font l’objet de visites de Crematogaster scutellaris ou Lasius alienus notamment.
 
le miellat des pucerons
C’est un mélange de nutriments contenant des acides-aminés libres, des amides, des protéines, des minéraux, des vitamines , des lipides, des acides organiques et une grande variété de saccharides : monosaccharides (fructose, galactose, glucose, mannose,...), disaccharides (maltose, melibiose, sucrose, tréhalose, turanose,...) et trisaccharides (fructomaltose, mélézitose, raffinose,...).
Nombre d’homoptères producteurs de miellat ont développé des relations de mutualismes avec les fourmis. Ces relations entre fourmis et homoptères sont appelées trophobioses . Les fourmis couvrent leur besoin en hydrates de carbone en collectant le miellat excrété par les insectes qui peuvent former d’abondantes colonies. L’intensité du mutualisme entre les insectes producteurs de miellat et les fourmis dépend de plusieurs facteurs, incluant la densité des hôtes, la qualité de la plante hôte, les différences spécifiques aux espèces d’homoptères et de fourmis que l’on retrouve dans ces systèmes, les différences dans les besoins énergétiques des fourmis, et la distance entre le nid et la colonie d’homoptères.

des racines : Des pucerons restent sous terre, fixés à la racine pour en tirer la sève nutritive. Quelques espèces de fourmis( Tetramorium caespitum, Lasius flavus ) les élèvent auprès des racines proches du nid. Les sols humides, les jachères et talus avec la folle avoine sont propices à ces petites espèces au déplacement lentement. La prédation est moindre.

D’autres vont rechercher cette source d’approvisionnement en déménageant leur nid jusqu’à épuisement de la source. Tapinoma nigerrimum, fourmi nomade, est un fléau pour les productions maraîchères. Elles s’installent au pied des plants arrosés au goutte à goutte. La plante s’affaiblissant elles déménagent transportant leurs pontes pour s’installer quelques mètres plus loin. Leur odeur de beurre rance repousse les prédateurs. L’espèce est nuisible.


                                                                           avant et après

des plantes : C’est une source d’alimentation très abondante. En cas de surpopulation de pucerons ou de besoins carnés, ils seront mangés. Les pucerons sont de petite taille (entre 1 et 10-15mm), sédentaires, sans réaction agressive, une omniprésence et des habitudes grégaires : tous ces facteurs contribuent à faciliter leur découverte et leur contrôle par les fourmis qui viennent à les utiliser comme source stable d’éléments nutritifs.
Les pucerons excrètent par l'anus les sucres qu'ils ne peuvent pas assimiler. Les ouvrières titillent les pucerons avec leurs antennes pour les inciter à extraire le miellat tout en les protégeant des prédateurs comme les coccinelles. Ainsi soignés, les pucerons sont plus gras et se reproduisent bien plus vite. Les fourmis recherchent des pucerons produisant beaucoup de miellat.


Les fourmis réduisent les populations de ciccadelles qu’elles entretiennent afin de conserver des populations viables sur une longue durée et éviter que les homoptères endommagent trop la plante hôte, ce qui pourrait alors la tuer et nuire aux homoptères. Paradoxalement les populations sont donc réduites pour assurer une meilleure survie de la colonie dans son ensemble et assurer une meilleure qualité de la plante hôte et donc du miellat. Le contrôle des populations par les fourmis s’avère donc être capital pour la survie des homoptères.
Les Lasius ( Lasius niger, Lasius alienus, Lasius emarginatus) sont communes dans les jardins sur les rosiers, les arbres fruitiers. Les associations entre les fourmis et leurs partenaires peuvent être hautement spécialisées, où la survie du partenaire est alors impossible sans la présence des fourmis, on parle de myrmécophilie.
 site sur le sujet : fourmis et pucerons
o Les graines et leur dispersion : myrmécochorie.
Les fourmis granivores fourragent les graines parfois loin, des dizaines de mètres du nid. Messor barbarus que l’on observe en ville comme en garrigue ou dans les vignes, Messor capitatus ,construisent de véritables autoroutes , des pistes de fourragement pour ramener les graines et constituer des greniers. Messor barbarus n’est présente que sur le littoral méditerranéen et son arrière pays et reste remarquable par ses longues processions quand bien même la tramontane souffle. Messor structor préfère les lieux plus humides, la proximité des jardins ,des cours d’eau ou des agouilles.


Certaines plantes développent des élaïosomes.

Ce sont des excroissances de la graine riches en lipides. Les fourmis sont attirées par cette substance. L’altruisme d’une fourmi n’est pas de consommer sur place mais de ramener au nid les provisions qui ne sont pas liquides comme le miellat des pucerons. Les graines sont dispersées en des endroits où les conditions de germination seront plus favorables, l’élaïsome se détachant facilement de la graine. C’est le cas des euphorbes, de la violette, des chardons, véroniques, centaurées, de l’anémone, de l’hellébore, du myosotis etc.

o Les protéïnes :

La recherche de nourriture carnée est un exercice spécifique. Il n’y a pas de source constante d’approvisionnement. Elles vont prospecter leur territoire et nettoyer le sol des cadavres ou de ce qui est peu mobile. Abeilles, diptères, orthoptères , lombrics après la pluie, escargots écrasés, petits rongeurs, oisillons : il faut faire vite et être le premier sur la source. La concurrence entre nids de fourmis rend incompatible le partage.

Cataglyphis piliscapus est une espèce originaire d’Afrique du Nord et du désert. Elle reste la seule à pouvoir prospecter aux heures les plus chaudes sur les lieux les plus ensoleillés sur les dunes, chemins de garrigue, toujours à découvert. Très haute sur pattes, elle limite le contact au sol brûlant. Son déplacement est très rapide. Elle se repère par des ocelles développés - autres yeux non composés de facettes sur la tête- qui suivent la course du soleil. Au contraire des autres espèces qui pistent avec des phéromones leur itinéraire, elles ont inventé le G.P.S avant l’homme.


Les fourmis des bois ont un rôle environnemental indéniable. La population des nids en altitude est considérable et les besoins en alimentation conséquents. Outre les substances sucrées (miellat), les insectes, ce sont aussi les chenilles processionnaires qui sont au menu. De façon écologique il n’y aura pas meilleur prédateur.
 


Ces fourmis construisent des dômes constitués d’aiguilles des pins proches pouvant atteindre un mètre et constituer par un réseau des centaines de milliers d’ouvrières. Chaque dôme est adossé à une souche.

Dans les Pyrénées et le Massif Central on rencontre Formica rufa et Formica lugubris en altitude . Cela reste l’unique genre de fourmi qui soit protégé par son côté protecteur évitant des traitements chimiques dévastateurs car non ciblés sur ses zones d’habitat montagnards.

Les insectes commensaux : Quelques insectes s’attirent les faveurs des fourmis. Ils ont un rôle de nettoyeur, d’éboueur. Ou ils secrètent des substances qui font la gourmandise des fourmis. Opportunistes ils profitent de celles-ci pour arriver à leur fin.
                                     un charançon en compagnie d'un soldat Pheidole pallidula

C’est le cas de l’Azuré des tourbières ( Maculinea) dont la larve sera élevée par les fourmis jusqu’à la nymphose, le temps pour la chenille de se transformer en chrysalide. Les ouvrières sortiront la chrysalide inutile du nid. Elle se métamorphosera à l’air libre ensuite.
Ces insectes développent des masques odorants qui leur permettent non seulement de ne pas être mangés mais encore de s’alimenter des larves de fourmis en toute impunité.
blog sur le sujet : insectes myrmécophiles

Le rôle des fourmis n’est pas négligeable. La masse totale de leur population est équivalente à celle de l’Homme. Les fourmis augmentent l’hétérogénéité du sol et l’aèrent en creusant des galeries souterraines. Elles participent à la dissémination des espèces végétales. Le transport du matériel végétal peut atteindre des dizaines de kilos d’aiguilles et de brindilles pour un nid de fourmis des bois. Elles sont un maillon important de l’écosystème jouant un rôle prépondérant pour la végétation et pour la faune en tant que prédateurs, mais aussi de proies pour des espèces insectivores. Les plagistes s’amusent du fourmillon qui construit son cône pour y attraper les fourmis hasardeuses. Elles ont la capacité à s’adapter à toutes les situations : sécheresse estivale ou fortes pluies automnales. On en trouve partout, de la plage aux sommets proches des 3000 mètres. De nouvelles espèces apportées par l’Homme font leur apparition : Linepithema humile ( fourmi « d’Argentine »)
 
et Lasius neglectus (originaire d’Asie mineure). Leur partage du territoire est sans concession. Ce sont des invasives envahissantes. Si la dernière se cantonne au littoral de l’Espagne à l’Italie, la seconde présente tant dans le Roussillon que le Languedoc remonte le Rhône en s’appropriant les zones cultivées. Tout comme les espèces lignicoles du chêne liège ( Crematogaster scutellaris et Camponotus truncatus) , ce sont des nuisibles. Si pour le bois cela affecte les producteurs de bouchons, on ignore encore quelles incidences auront ces deux fourmis sur l’environnement.